jeudi 10 avril 2014

Histoire d'une Ville à travers les Âges, - par Albert ROBIDA (La Caricature, 1884)

Ce n'est plus un grand secret, Albert Robida, depuis toujours, regrette les temps jadis, qui ont assurément, ravagé visuellement nos villes. Il faut dire qu'il a en lui ces architectures moyenâgeuses du passé... entre autres.
Alors, il laisse vagabonder son imagination fertile, et imagine un raccourci historique, l'histoire d'une ville à travers les âges, et même plus précisément, l'histoire d'une rue parisienne...
de la rue de la Truie qui file... au boulevard de la République, en 1884.

Cela se passe dans le numéro 224 de La Caricature, du 12 avril 1887. Robida nous gratifie d'une magnifique illustration de couverture où se mêlent contemporains et animaux préhistoriques. Il développe sa riche vision de l'histoire en pages centrales, en adoptant une chronologie aussi débridée que dispersée, à même de nous embrouiller, comme ses étroites rues médiévales.


Aux temps préhistoriques.

C'était le bon temps ! Quel Rêve ! Le pays était giboyeux alors ; quand on sortait de chez soi, on était sûr de ne pas manquer de distractions sportives !




Le grand boulevard de la République, il y a cinq ou six mille ans.

Pas le moindre bec de gaz, pas le plus petit concierge. La mer, beaucoup d'huîtres, des cocotiers sur les grèves ; les premiers propriétaires du sol sont les plésiosaures, les ptérodactyles, les mammouths ; l'homme, simple locataire, a des difficultés avec eux.




Le même boulevard quatre mille ans après.

Quelques huttes gauloises éparpillées sans régularité. Pas de rues tracées, pas même de conseil municipal. Au lieu de songer à embellir la ville, les citoyens s'amusent à se tatouer de frivoles peintures sur le corps.



Le grand boulevard de la République aux temps des Mérovingiens.

Le service de la voirie est encore très mal fait. Aussi la belle madame Clodomir, qui va faire sa petite promenade dans son landau, se plaint-elle de rencontrer sur les trottoirs, devant les plus belles boutiques, des bandes errantes de sangliers domestiques. 






Au Moyen-Age. La rue de la Truie qui file.

Les architectes d'aujourd'hui pâliraient d'effroi à sa vue et cependant la rue de la Truie qui file, déjà la grande artère de la ville ; toutes les maisons sont des hostels habités par les plus nobles familles !





La rue de la Truie qui file, au XVIe siècle

Nous devons l'avouer, le quartier s'est un peu encanaillé. Les hautes et nobles dames qui l'habitaient autrefois ont déménagé et livré la place à de moins nobles demoiselles. Rue mal fréquentée à toute heure et fertile en scandales, surtout lorsque le Temple d'Amour a des mots avec l'auberge de la Dive Bouteille ou lorsque le Puits sans vin, les Trois Grenouilles et le Petit Pot sont d'humeur trop joyeuse.




La rue de la Truie qui file, au temps de la Ligue.

Plus de joyeuseultés. Les habitants sont tout au sermon ou au prêche. Entre temps ils fourbissent leurs vieilles hallebardes ou dérouillent leurs arquebuses, avec le doux espoir de s'en servir pour convertir leurs voisins et connaissances.






La rue de la Truie qui file, au XVIIe siècle.

Toujours un peu étroite, mais que d'améliorations ! Les habitants ont meilleure tenue, les bourgeois portent d'énormes perruques ; l'ancienne auberge du Temple d'Amour devenue ensuite l'Imaige Sainte-Marie, est maintenant l'Hostellerie du Grand-Monarque. Madame de Sévigné y a couché.



La rue de la Truie qui file, au XVIIIe siècle.

Quartier considérablement embelli. Le premier café a été ouvert sur l'emplacement de l'ancienne auberge de la Dive Bouteille. L'hôtel du Grand Monarque s'est transformé ; il est devenu le temple de la Philosophie, avec un buste de Jean-Jacques à la place de l'ancienne enseigne.





La rue de la Truie qui file, en 93.

Tout est changé, la rue s'appelle rue Mucius Scevola, le buste de Marat a remplacé celui de Rousseau. Le farouche épicier Brutus Bonnard se dispute toute la journée avec les citoyennes furieuses de payer deux sous de poivre 300 fr. en assignats.



Sous l'Empire, la rue de la Truie qui file.

S'intitule fièrement rue Marengo, l'auberge du vrai Sans-Culotte a pris pour enseigne l'Aigle de la Victoire, l'épicier Brutus Bonnard est redevenu le père Bonnard.





La rue de la Truie qui file, en 1884.

Dernière transformation. Apothéose, la rue s'appelle maintenant boulevard de la république, quinze mille becs de gaz : l'auberge de l'Aigle d'Or démolie est remplacée par le Grand Hôtel des Cinq parties du Monde. Les Grands Magasin des Quatre Saisons remplacent le petit bonnetier Caïus Gracchus.

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