Colloque les 19, 20, 21 et 22 janvier 2016
à la Fondation Singer-Polignac
Le XIXe siècle face au futur. Penser, représenter, rêver l’avenir au XIXe siècle
INTRODUCTION :
On a souvent remarqué que le XIXe siècle a été le premier à se penser en tant que siècle, et le premier aussi à se désigner par un numéral. Une autre de ses caractéristiques, c’est qu’il ne s’est pas centré autour d’une qualification unique, comme a fini par le faire le siècle des Lumières, mais qu’il a, au contraire, multiplié les appellations censées le caractériser. Nombreuses sont les expressions sous la forme « le siècle de… », insistant sur une de ses déterminations jugées essentielles : le siècle de l’histoire, le siècle des révolutions, le siècle des inventaires (Thibaudet), le siècle des dictionnaires (Larousse), le siècle de l’abstraction (Fortoul), le siècle de la science, le siècle des inventions, le siècle de la vitesse, le siècle positif, le siècle romantique, le siècle de la blague (Goncourt), etc.
Deux précédents Congrès de notre Société ayant déjà entamé la réflexion d’ensemble, tant sur les représentations du XIXe siècle par lui-même que sur ses représentations au siècle suivant, notre prochain Congrès se propose de prolonger cette réflexion en abordant la question sous un angle complémentaire.
Parmi les formulations récurrentes qui viennent d’être rappelées, nous avons choisi cette fois de mettre l’accent sur le rapport privilégié du « siècle du progrès » à l’avenir et au futur, tout en engageant une réflexion plus large sur les rapports du siècle au temps historique, sur sa manière de se construire dans l’Histoire et de gérer les trois grandes dimensions de la temporalité (Passé, Présent, Futur). En partant de la temporalisation des notions, des concepts et des vécus qui se joue à l’aune du nouveau « régime d’historicité » (François Hartog), l’enquête pourrait se tourner de manière privilégiée vers la manière que le XIXe siècle a eue de penser, de représenter, d’imaginer à la fois le futur, lointain et décroché de toute temporalité, et ce futur plus concrètement pensable et en prise sur les débats contemporains qu’est l’avenir, de les construire et de se construire par rapport à eux, tout en pensant d’emblée son présent au futur antérieur, de manière de plus en plus marquée à mesure que le temps historique s’accélère.
Le XIXe siècle qui fut, côté Passé, le siècle de l’Histoire, le siècle des inventaires, un siècle « rétrospectif », fut, côté Futur, à la fois le siècle du progrès, le siècle de l’avenir et le siècle des utopies (et des dystopies), et, côté Présent, le siècle du journal, et donc aussi de l’accélération, d’une actualisation montante des pratiques et des vécus. C’est ainsi le présent lui-même, qui, du fait de l’accélération des communications et des découvertes scientifiques en rafale, se voit comme projeté vers un futur qui tend à se rapprocher de lui à grande vitesse. En conséquence, l’avenir s’impose à la pensée avec une urgence et une nécessité nouvelles. La temporalité telle qu’on la pense est alors la proie d’une sorte d’impérialisme du futur, en réponse aux siècles antérieurs qu’on pense alors marqués par leur révérence à l’immuable tradition. La question de l’avenir, auparavant plus lointaine, uniquement virtuelle, propice à de simples rêveries et utopies, se pose avec plus d’acuité : à ceux qui s’y inscrivent résolument, l’envisagent avec joie et cherchent à anticiper le futur par des visions utopiques, mais aussi à ceux que l’avenir comme le futur plus lointain effraient ou rebutent, ce qui les provoque au passéisme et à la résistance. Alors que les hommes de la fin des Lumières envisageaient la « Postérité » comme une sorte de jugement dernier laïque propre à réparer les erreurs du « despotisme » et à rétribuer les justes, mais qui demeurait lointain et incertain, le XIXe siècle vit l’avenir de manière à la fois plus intense et plus instante.
L’avenir et le futur deviennent ainsi cette dimension du temps historique que traitent avec prédilection les systèmes philosophiques. Philosophie des sciences, philosophie de l’histoire et des religions dialoguent et s’interpénètrent, comme en témoigne le parcours intellectuel de Renan. S'ouvre ainsi un champ propice aux représentations et aux imaginaires, qu'investissent également la littérature et les différents arts.
Mais l’avenir (en prise sur le présent) constitue d’abord et surtout le terrain privilégié d’affrontement des idéologies politiques, religieuses et sociales, le combat central se jouant, au moins depuis le XVIIIe siècle, autour de la notion de Progrès, notion à spectre large, qui impose une vision positivement orientée de l’avenir, qui dépasse le champ politique, puisque débouchant sur une « religion de l’avenir ». On cherche ainsi à répondre au passéisme traditionaliste des religions instituées, mais aussi à proposer une autre projection dans l’avenir qui ne soit pas de l’ordre de l’eschatologie. D’où l’affirmation de Larousse : « La foi à la loi du progrès est la vraie foi de notre âge. » Mais nombreux et actifs sont tout au long du siècle les adversaires de cette foi nouvelle. C’est pour et contre le Progrès que se joue le combat politique, mais aussi philosophique, des « progressistes » et des « réactionnaires » de tout acabit. Aux partisans de la « perfectibilité », menant la lutte au nom de l’étendard du Progrès, et qui prédisent des « lendemains qui chantent » selon des scénarios historico-politiques souvent rivaux, s’opposent alors tous ceux qui doutent, protestent ou ironisent face à une telle vision optimiste d’un avenir idéalisé.
Côté futur (plus lointain), on assiste alors à un développement des utopies, topographies imaginaires de la cité idéale (qui ont bientôt tendance à se transformer en dystopies), tandis que se cherchent aussi des genres littéraires nouveaux, tel le roman scientifique d’anticipation. Mais c’est souvent, là encore, en fonction d’une image du présent, et par des comparaisons ou antithèses facilement décryptables par rapport à lui, que se font ces voyages vers les lointains âges futurs.
Ainsi engagée, la réflexion permettrait aussi, en miroir, d’envisager le XIXe siècle depuis aujourd’hui, soit donc à partir de ce futur que nous étions pour lui, en le traitant à la fois comme un pan exemplaire de notre passé, et comme l’inventeur de visions de l’avenir qui ont continué de régir une bonne partie du XXe siècle. Que reste-t-il aujourd’hui de ce XIXe siècle penseur d’avenir et de futur, entre progrès et discours du déclin ? Quelles représentations semblent irrémédiablement datées, quelles théories, quels imaginaires sont encore vivants et parlent à notre début du XXIe siècle ?
Deux précédents Congrès de notre Société ayant déjà entamé la réflexion d’ensemble, tant sur les représentations du XIXe siècle par lui-même que sur ses représentations au siècle suivant, notre prochain Congrès se propose de prolonger cette réflexion en abordant la question sous un angle complémentaire.
Parmi les formulations récurrentes qui viennent d’être rappelées, nous avons choisi cette fois de mettre l’accent sur le rapport privilégié du « siècle du progrès » à l’avenir et au futur, tout en engageant une réflexion plus large sur les rapports du siècle au temps historique, sur sa manière de se construire dans l’Histoire et de gérer les trois grandes dimensions de la temporalité (Passé, Présent, Futur). En partant de la temporalisation des notions, des concepts et des vécus qui se joue à l’aune du nouveau « régime d’historicité » (François Hartog), l’enquête pourrait se tourner de manière privilégiée vers la manière que le XIXe siècle a eue de penser, de représenter, d’imaginer à la fois le futur, lointain et décroché de toute temporalité, et ce futur plus concrètement pensable et en prise sur les débats contemporains qu’est l’avenir, de les construire et de se construire par rapport à eux, tout en pensant d’emblée son présent au futur antérieur, de manière de plus en plus marquée à mesure que le temps historique s’accélère.
Le XIXe siècle qui fut, côté Passé, le siècle de l’Histoire, le siècle des inventaires, un siècle « rétrospectif », fut, côté Futur, à la fois le siècle du progrès, le siècle de l’avenir et le siècle des utopies (et des dystopies), et, côté Présent, le siècle du journal, et donc aussi de l’accélération, d’une actualisation montante des pratiques et des vécus. C’est ainsi le présent lui-même, qui, du fait de l’accélération des communications et des découvertes scientifiques en rafale, se voit comme projeté vers un futur qui tend à se rapprocher de lui à grande vitesse. En conséquence, l’avenir s’impose à la pensée avec une urgence et une nécessité nouvelles. La temporalité telle qu’on la pense est alors la proie d’une sorte d’impérialisme du futur, en réponse aux siècles antérieurs qu’on pense alors marqués par leur révérence à l’immuable tradition. La question de l’avenir, auparavant plus lointaine, uniquement virtuelle, propice à de simples rêveries et utopies, se pose avec plus d’acuité : à ceux qui s’y inscrivent résolument, l’envisagent avec joie et cherchent à anticiper le futur par des visions utopiques, mais aussi à ceux que l’avenir comme le futur plus lointain effraient ou rebutent, ce qui les provoque au passéisme et à la résistance. Alors que les hommes de la fin des Lumières envisageaient la « Postérité » comme une sorte de jugement dernier laïque propre à réparer les erreurs du « despotisme » et à rétribuer les justes, mais qui demeurait lointain et incertain, le XIXe siècle vit l’avenir de manière à la fois plus intense et plus instante.
L’avenir et le futur deviennent ainsi cette dimension du temps historique que traitent avec prédilection les systèmes philosophiques. Philosophie des sciences, philosophie de l’histoire et des religions dialoguent et s’interpénètrent, comme en témoigne le parcours intellectuel de Renan. S'ouvre ainsi un champ propice aux représentations et aux imaginaires, qu'investissent également la littérature et les différents arts.
Mais l’avenir (en prise sur le présent) constitue d’abord et surtout le terrain privilégié d’affrontement des idéologies politiques, religieuses et sociales, le combat central se jouant, au moins depuis le XVIIIe siècle, autour de la notion de Progrès, notion à spectre large, qui impose une vision positivement orientée de l’avenir, qui dépasse le champ politique, puisque débouchant sur une « religion de l’avenir ». On cherche ainsi à répondre au passéisme traditionaliste des religions instituées, mais aussi à proposer une autre projection dans l’avenir qui ne soit pas de l’ordre de l’eschatologie. D’où l’affirmation de Larousse : « La foi à la loi du progrès est la vraie foi de notre âge. » Mais nombreux et actifs sont tout au long du siècle les adversaires de cette foi nouvelle. C’est pour et contre le Progrès que se joue le combat politique, mais aussi philosophique, des « progressistes » et des « réactionnaires » de tout acabit. Aux partisans de la « perfectibilité », menant la lutte au nom de l’étendard du Progrès, et qui prédisent des « lendemains qui chantent » selon des scénarios historico-politiques souvent rivaux, s’opposent alors tous ceux qui doutent, protestent ou ironisent face à une telle vision optimiste d’un avenir idéalisé.
Côté futur (plus lointain), on assiste alors à un développement des utopies, topographies imaginaires de la cité idéale (qui ont bientôt tendance à se transformer en dystopies), tandis que se cherchent aussi des genres littéraires nouveaux, tel le roman scientifique d’anticipation. Mais c’est souvent, là encore, en fonction d’une image du présent, et par des comparaisons ou antithèses facilement décryptables par rapport à lui, que se font ces voyages vers les lointains âges futurs.
Ainsi engagée, la réflexion permettrait aussi, en miroir, d’envisager le XIXe siècle depuis aujourd’hui, soit donc à partir de ce futur que nous étions pour lui, en le traitant à la fois comme un pan exemplaire de notre passé, et comme l’inventeur de visions de l’avenir qui ont continué de régir une bonne partie du XXe siècle. Que reste-t-il aujourd’hui de ce XIXe siècle penseur d’avenir et de futur, entre progrès et discours du déclin ? Quelles représentations semblent irrémédiablement datées, quelles théories, quels imaginaires sont encore vivants et parlent à notre début du XXIe siècle ?
Ce sont pas moins de 47 conférences sur cette passionnante thématique qui se suivront pendant ces quatre journées bien remplies, et bien sûr, plusieurs d'entre elles se rapportent de près ou de loin à l’œuvre d'Albert Robida.
Voici celles qui nous passionneront plus particulièrement :
Mardi 19 janvier
Session 3 (pm) : Les mœurs des temps futurs
Présidence Marta Caraion
Que mangerons-nous demain ? Alimentation, gastronomie et anticipation chez Albert Robida par Julia Csergo
Spécialiste d’histoire contemporaine, Julia Csergo est professeur à l’Université du Québec à Montréal. Ses ravaux portent sur la santé, les loisirs et le tourisme, les cultures et patrimoines alimentaires. Dernières publications: « Introduction aux Éloges de la cuisine française » de Edouard Nignon (1933), Menu-Fretin, 2014 ; «Mythologies du Palace : de la synthèse cosmopolite à la forme patrimoniale mondialisée. L’exemple du
Ritz-Carlton Montréal », in L. Jegouzeau (dir), Revue Droit et pratique du tourisme, n°1, 2015.
Albert Robida (1848-1926) a vécu le moment où s’épanouissent simultanément en France, le discours gastronomique et les innovations de la nouvelle industrie alimentaire qui se déploient autour de nouveaux savoirs scientifiques et technologiques, de nouveaux process et de nouveaux produits venus de nations dites « modernistes », l’Allemagne et les États-Unis. A partir d’un corpus d’écrits et d’images d’anticipation produits par l’auteur et caricaturiste, que nous situerons au regard des productions du discours gastronomique de l’époque et des positions des avant-gardes littéraires et esthétiques sur le sujet, nous démontrerons la façon dont l’alimentation est alors le lieu où se cristallisent l’optimisme positiviste de la foi dans le progrès, les peurs alimentaires qui constituent une des expressions de la hantise fin – de - siècle de la dégénérescence, la dénonciation politique des conditionnements culturels et normatifs nées de la mondialisation des pouvoirs financiers.
Véhicules de demain : les anticipations du Métro parisien et l’avenir de l’espace urbain à la fin du XIXe siècle par Caroline Grubbs
Caroline Grubbs a récemment soutenu une thèse qui porte sur la temporalité dans l’oeuvre d’Albert Robida sous la direction d'Andrea Goulet à l’University of Pennsylvania. Elle a présenté ses travaux dans des colloques consacrés à la littérature française du dix-neuvième siècle aux Etats-Unis et en France. Ses intérêts de recherche comprennent la culture fin-de-siècle, la littérature et les sciences, et le roman d’anticipation du dix-neuvième siècle.
Dans cette communication, nous proposons d’aborder la façon dont le dix-neuvième siècle a imaginé et a représenté l’avenir par le biais des anticipations scientifiques et littéraires du Métro de Paris. A travers une analyse comparative d’une sélection de projets de Métro (d’Edouard Mazet, de Jean Chrétien, de Jules Garnier et de Jean-Baptiste Berlier, entre autres) et de récits d’anticipation contemporains d’Albert Robida et de Jules Verne, nous explorerons la Métro-mania fin-de-siècle afin de mieux cerner les enjeux progressistes qu’elle véhicule et les peurs dystopiques qu’elle incite. Les systèmes envisagés dans ces textes nous offrent autant de futurs alternatifs, d’itinéraires qui auraient pu être suivis et qui auraient menés à d’autres terminus historiques, et ils nous invitent à repenser l’avenir du passé, tout en traçant de nouvelles correspondances entre fiction et urbanisme fin-de-siècle.
Mercredi 20 janvier
Session 5 (am) : Sciences de demain
"Le XXe Siècle, la vie électrique" L’électricité dans le roman d’anticipation scientifique. Jules Verne, Albert Robida, Nilo Mario Fabra par Daniel Perez
Dans les dernières décennies du XIXe siècle, les sociétés européennes ont assisté, stupéfiées, au développement des premières applications de l’électricité. La nature complexe de cette énergie, le mystère qui l’entourait et ses applications prometteuses ont stimulé la capacité de suggestion d’une société fin de siècle, fascinée par les possibilités illimitées de la science et la technique. Néanmoins, le fluide a également exprimé la dialectique de la modernité et ses contradictions. Des ouvrages tels que Paris au XXe siècle (1863) de Jules Verne et Le Vingtième
Siècle. La vie électrique (1890) d’Albert Robida, ainsi comme d’autres exemples de la littérature d’anticipation scientifique espagnole, comme les récits de Nilo Maria Fabra, révèlent des opinions partagées sur la perception de l’électricité, sur les possibilités qu’elle offrait, ainsi que des critiques à la domination excessive de la technologie, et qui montrent, enfin, comment la société de fin de siècle se pensait et se repensait elle-même et sa relation avec la science et la technique.
Vendredi 22 janvier
Session 13 (pm) : Utopies, Dystopies
Le siècle de la dystopie ? Propositions pour une histoire littéraire par Valérie Stiénon
Valérie Stiénon est maître de conférences à l’Université Paris 13. Ses recherches portent sur la culture littéraire et médiatique du XIX siècle, les formes et figures de la critique littéraire et les genres de l’anticipation à l’époque moderne. Elle a notamment coordonné (Bé)vues du futur. Les imaginaires visuels de la dystopie (Septentrion 2015, avec C. Dessy) et Utopies et mondes possibles (Textyles à paraître en 2015). Elle est
co-directrice de la revue COnTEXTES et membre du programme ANR « Anticipation » (ENS Lyon, 2014-2018).
Le XIXe siècle développe bon nombre de récits de communautés en danger, sur le déclin ou soumises à la destruction. Échos de l’actualité socioculturelle, ces récits sont aussi des fictions créatives. Ils occupent pourtant une place mineure dans l’histoire littéraire française et sont difficilement lisibles sous la désignation commune de dystopie. Pour rendre compte de leurs possibles cohérences discursives et poétiques à travers la diversité de leur inscription contextuelle, on réfléchira aux manières de combiner une approche narrative et une perspective plurimédiatique embrassant un large spectre de genres et de supports allant de la prose poétique eschatologique (Cousin de Grainville) aux récits de guerres futures (Danrit, Giffard), en passant par les éphémérides humoristiques dans la presse (Robida), les contes conjecturaux (Nodier, Allais) et le roman illustré (Souvestre, Henriot).
Plus d'informations et les détails sur les autres conférences :
http://www.singer-polignac.org/en/missions/sciences/colloques/1279-le-xixe-siecle-face-au-futur-penser-representer-rever-l-avenir-au-xixe-siecle
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