lundi 11 mars 2013

Le remplacement des vingt-deux statues de charcutières à l'Exposition de 1878 (1)

Les jolies femmes... dans La Vie Parisienne du 11 mai 1878, on évoque un projet de remplacement des vingt-deux charcutières de la façade... il s'agit en fait des 22 statues qui sont de part et d'autre de la façade du grand palais, au Champ de Mars, lors de l'Exposition universelle de 1878. Ces statues sont sensées représenter chacune un pays différent, et semble-t-il, sont loin de rencontrer les suffrages de notre illustrateur préféré.



Ci-dessous, nous vous proposons l'article complet paru ce 11 mai 1878... à suivre :

Les Projets de la Vie Parisienne pendant l'Exposition

1) Pour le remplacement des vingt-deux charcutières de la façade.


N'avez-vous pas été affligés, comme nous, en vous arrêtant devant l'entrée du palais du Champ de Mars, avant de pénétrer dans la salle des merveilles rapportées des Indes par le Prince de Galles, à la vue de ces vingt-deux – nous les avons comptées – statues monumentales qui représentent sans doute les vingt-deux plus fortes exposantes nations ? Eh quoi, nous sommes-nous dit, voilà tout ce que l'art moderne a trouvé de nouveau, - ces éternels types de plantureuses charcutières aux cheveux nattés en câbles, vêtues de la chlamyde des anciens patriciens romains, l'épée nue, droite au côté, que nous croyions être le monopole exclusif, l'accessoire indispensable des places publiques et des gares de chemin de fer. - voilà donc tout ce que l'art contemporain a inventé pour nous souhaiter les bienvenue sur le seuil du palais de l'Exposition ?  Le petit nom prudemment inscrit au-dessous de chaque statue nous apprend que telle grosse dame représente la République de l'Equateur, telle autre grosse dame, l'Empire du Brésil. A votre aise, mais pour ne pas sortir du frivole, qui seul nous regarde dans tout ceci, croyez-vous, messieurs nos grands statuaires, que ce soit une fête pour ces braves chimpanzés, ces aimables moricauds et moricaudes qui ont quitté les patriae fines, les dulcia arva et leurs cocotiers, traversé les océans pour venir nous visiter avec la louable intention de dépenser beaucoup d'argent, d'être reçus en débarquant au Champ de Mars par ces mastodontes grotesques ornés de leurs lèvres lippues, leurs nez épatés avec ou sans anneau, leur chevelure astrakan, et de se contempler ainsi face à face dans toute leur hideur plus ou moins ressemblante.

Il faut bien se l'avouer entre soi, tout à fait entre soi, l'Exposition est bien la dernière chose que les étrangers sont venus voir à Paris. Malgré tout ce que cet aveu peut coûter à notre amour-propre industriel et commercial, il serait puéril de s'imaginer que c'est uniquement pour admirer les soies grèges, les cotons filés, les draps indéchirables pour billards, les nouveaux robinets à gaz, que trois cent mille étrangers ont envahi nos hôtels. Ils ne sont pas plus venus à l'Exposition qu'un Parisien ne va voir la Timbale pour la pièce.

Ce que l'étranger est venu voir, revoir, étudier, admirer, visiter, c'est les Parisiennes, les seules Parisiennes, uniquement les Parisiennes ; c'est sur elles seules que les populations étrangères entendent se livrer à un travail consciencieux et comparatif, - ce qu'elle est en 1878, ce qu'elle était en 1867. - Ne serait-il pas de toute justice que la Parisienne reçut, avec toute sa grâce, l'étranger aux portes même du Champ de Mars ?

Eh bien, voici l'idée qui nous est venue. Nous vous la soumettons dans toute sa simplicité : la façade du palais du Champ de Mars compte, avions-nous dit, vingt-deux cariatides. Le Vie Parisienne, à ses frais, les fait enlever nuitamment, les précipite dans la Seine et les remplace par des reproductions aussi exactes que coquettes de nos vingt-deux plus jolies femmes de Paris, les reine de la mode et de l'élégance, dans des costumes allégoriques et mythologiques appropriés à leurs beautés, à leurs lignes. Nous avions d'abord pensé à nous adresser exclusivement aux femmes du monde ; mais avant de nous lancer dans cette gigantesque entreprise, nous avons fait tâter le terrain. Plusieurs maris ont refusé de nous accorder leur autorisation tout à fait indispensable. On nous a fait observer aussi que ce serait semer le guerre dans cette « fête toute de paix, de travail et de concorde ». Voyez-vous notre embarras ? Si nous avions eu cinq cents statues, nous n'aurions écouté personne, nous serions allé de l'avant, mais vingt-deux seulement ! Personne de nous ne s'est senti assez fort pour oser circonscrire en vingt-deux types toutes les beautés mondaines de Paris. Nous nous sommes adressés alors aux théâtres, espérant que la tâche serait plus facile. Nous ne voulons pas dire par là qu'il y a moins de jolies femmes sur la scène que dans le monde. Paris comptant une vingtaine de théâtres, en prenant deux jolies femmes par théâtre, - c'est le moins que moins que nous puissions faire, - nous arrivons au chiffre plus modeste de quarante, à peu près le double des vingt-deux jolies femmes demandées. Voici la combinaison à laquelle nous nous sommes arrêtés :

Que toutes les jolies femme des théâtres de Paris qui se rallieront à notre projet aient l'obligeance de nous envoyer, avec l'autorisation de publier leurs portraits, un résumé, bien détaillé cependant, de leurs qualités physiques et morales, aptitudes, charmes, talents d'agrément, qui peuvent échapper à la lorgnette. Qu'elles nous disent aussi quels costumes elles désirent revêtir, quelle nations elles préfèrent représenter (1).

De notre côté, nous dresserons, par ordre de mérite, une liste de tous ces noms ; et comme bien certainement il y en aura dix fois plus qu'il ne nous en faudra, dans une séance intime et particulière, avec notre bonne fois habituelle, nous tirerons au sort, - comme dans la chanson, - pour savoir qui seront... statuées.

Autre chose : au point de vue des plaisirs, l'Exposition s'annonce mal. La Vie Parisienne gémit sur le sort des pauvres étrangers qui, après le dîner chez leur ambassadeur, après les soirées dansantes ou  musicales de la Maréchale et de la préfecture de la Seine, la réception aux Affaires, les sept ou huit pièces à succès vues et revues, l'escalier de l'Opéra, les cafés-concerts, une visite dans les égouts, peut-être une fête avec illuminations des grandes eaux suivie d'une retraite aux flambeaux, à Versailles ; après avoir parcouru tous les quartiers de Paris dans les immortels tramways ; après avoir admiré les immortelles pissotières (nouveaux modèles) qui ornementent les promenades ; après avoir avalé, au Trocadéro, le bock démocratico-égalitaire et la sandwich desséchée et tordue comme la queue d'une écrevisse sur un vol-au-vent, nos étrangers seront au bout de notre pauvre et démocratique rouleau.

Tel nous apparaît le bilan des divertissements que nous annoncent nos édiles qui semblent s'endormir sur les immortels tramways et les immortelles pissotières déjà nommées. Pour obvier autant qu'il est en elle à ce lamentable état de choses, pendant la durée de l'Exposition, la Vie Parisienne publiera une série de projets de fêtes ou de représentations plus extraordinaires les unes que les autres. Mettra qui voudra nos idées à exécution. Vous en ferez ce que vous voudrez.

D'ailleurs, notre responsabilité personnelle ainsi dégagée, nous n'avons qu'un seul désir, une seule ambition, c'est que tous les plaisirs, les distractions, les divertissements que les étrangers sont venus chercher à Paris, ils les trouvent au moins chaque samedi dans la Vie Parisienne.

La Rédaction.

(1) Nota bene : 1° Toutes les lettres et autorisations des dames-artistes devront être adressées place de la Bourse, jusqu'au mardi 14 mai, cinq heures du soir.
(2) Contrairement à l'habitude, les lettres, après avoir été dépouillées, ne seront ni rendues, ni brûlées. Elles seront mises à la disposition des étrangers qui désireront en prendre une connaissance plus approfondie.

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