mardi 19 mars 2019

"Le XXème siècle" d'Albert Robida... dans Le Populaire de 1939...

Quelques mois à peine avant le début de la seconde guerre mondiale, le journal Le Populaire du 26 avril 1939 diffuse (en feuilleton) le célèbre roman prophétique d'Albert Robida, le XXème Siècle...
(Le Populaire : journal-revue hebdomadaire de propagande socialiste et internationaliste / Parti socialiste SFIO / Directeur de publication : Léon Blum)


Merci à André Lange-Médard de nous avoir signalé ce document sur le site de Gallica.


Les textes dans ce numéro du 26 avril 1939 reproduisent ceux des pages 54 à 60 du XXème Siècle :


Du téléphone au téléphonoscope
Parmi les sublimes inventions, dont le XXe siècle s'honore, parmi les mille et une merveilles d'un temps si fécond en magnifiques découvertes, le têléphonoscope peut compter pour une des plus merveilleuses.
L'ancien télégraphe électrique, cette enfantine application de l'électricité, a été détrôné par le téléphone el ensuite par le téléphonoscope, qui est le perfectionnement suprême du téléphone.
Quand le téléphone fut universellement adopté, même pour les correspondances à grande distance, chacun s'abonna, moyennant un prix minime. Chaque maison eut son fil ramifié avec des bureaux de section, d'arrondissement et de région. On installa même des bornes téléphoniques publiques dans les rues. De la sorte, pour une faible somme, on pouvait correspondre à toute heure, à n'importe quelle distance et sans dérangement, sans avoir à courir à un bureau quelconque. Le bureau de section établit la communication et tout est dit.
L’invention du téléphonoscope fut accueillie avec la plus grande faveur. L'appareil, moyennant un supplément de prix, fut adapté aux téléphones de toutes les personnes qui en firent la demande. L'art dramatique trouva dans le téléphonoscope les éléments d'une immense prospérité. Les auditions théâtrales téléphoniques, déjà en grande vogue, firent fureur, dès que les auditeurs, non contenta d'entendre, purent aussi voir la pièce.
Les théâtres eurent a ainsi, outre leur nombre ordinaire de spectateurs dans la salle, une certaine quantité de spectateurs à domicile, reliés au théâtre par le fil du téléphonoscope. Nouvelle et importante source de revenus. Plus de limite maintenant aux bénéfices, plus de maximum de recettes ! Quand une pièce avait du succès, outre les trois ou quatre mille spectateurs de la salle, cinquante mille abonnés, parfois, suivaient les acteurs à distance, non seulement de Paris, mais de tous les pays du monde.
L’appareil consiste en une simple plaque de cristal, encastrée dans une cloison d'appartement, ou posée comme une glace au-dessus d'une cheminée quelconque. L'amateur de spectacle, sans se déranger, s'assied devant cette plaque, choisit son théâtre, établit sa communication, et tout aussitôt la représentation commence.
Avec le téléphonoscope, le mot le dit, on voit et l'on entend. Le dialogue et la musique sont transmis comme par le téléphone ordinaire. En même temps, la scène elle-même avec son éclairage, ses décors et ses acteurs, apparaît sur la grande plaque de cristal avec la netteté de la vision directe. On assiste donc réellement à la la représentation par les yeux et par l'oreille. L'illusion -est complète, absolue. Il semble que l'on écoute la pièce au fond d'une loge de premier rang.
Apres dîner, comme on ne sortait pas ce soir·là, M. Ponto s’étendit dans un fauteuil devant son téléphonoscope et se demanda ce qu'Il allait se faire jouer.
- Oh, papa ! surtout pas de tragédie, ou nous nous en allons ! s'écria Barbe en allant s'assoir à côté de lui.
- Un peu de musique, proposa Hélène.
- C'est cela, dit M. Ponto, j'aime la musique. Elle m'endort mieux que la simple prose ou les vers.
- Que joue·t·on à Vienne ? demanda Barnabette.
- Voyons: grand Opéra de Vienne…  Les Niebelungen de Wagner.
- Ah ! mon enfant, à Vienne, c'est commencé ! L'heure de Vienne avance de quarante-cinq minutes sur celle de Paris. Il est donc huit heures quarante-cinq, nous n'aurons pas le commencement.
- A Berlin, alors ?
- Non, c'est commencé aussi.
- Voyons, l'Opéra de New-York, en ce cas !
- Non, il est trop tôt. New-York retarde, Il nous faudrait attendre quelques heures.
- Restons à Paris, alors, dit Hélène. Que donne-t-on à l'Opéra?
- Faust, répondit Barbe.
- Va pour Faust ! dit M. Ponto, je ne l'ai encore entendu que doute ou quinze cents fois… Une fois de plus ou de moins !...
- Ah ! dit Barbe consultant son programme, on a ajouté trois grands ballets nouveaux et une apothéose.
- Très bien ! Très bien! dit M, Ponto. Attention, mes enfants, je sonne.
Et M. Ponta appuya sur le timbre de l'appareil et prononça ces mots dans le tube téléphonique :
- Mettez-moi en communication avec Opéra de Paris !
Un timbre lui répondit immédiatement.
- La communication est établie ! dit M. Ponto. Baissez les lampes, nous n'avons pas besoin de lumière.
Une sorte d'éclair traversa la plaque de cristal, un point lumineux se forma au centre, grandit avec des mouvements vibratoires et des scintillements, puis brusquement la scène de l'Opéra tout entière apparut avec la plus grande netteté.
En même temps éclata le tonnerre des cuivres de l'orchestre : Ies trombones, les saxophones et les bugles, habilement perfectionnés et portés à un très haut degré de puissance, rugirent une phrase musicale à faire crouler un édifice moins solidement construit que la maison Ponto.
Hélène sentit comme un grand souffle, qui faisait voltiger ses cheveux, les lampes s'éteignirent tout et les faïences sur les dressoirs frissonnèrent.
- Je vais modérer un peu, dit Ponto en tournant légèrement la clef du compteur. L'orchestre noud assourdissait.
Le docteur Faust en scène venait d'évoquer le Maudit. Quand il acheva son grand duo avec Méphistophélès, le téléphonoscope transmit comme un écho lointain le bruit des applaudissements de la salle.
- On peut applaudir? dit Barnabette,
- Parbleu ! répondit M. Ponto. Les spectateurs à domicile peuvent envoyer leurs applaudissements aussi. Tenez, j'ouvre la communication avec la salle, vous pouvez applaudir !
- Alors, fit Barbe en riant, on pourrait aussi transmettre des sifflets en cas de besoin !
- Ah ! mais non, fit M. Ponto, c'est défendu !
Vous comprenez que s'il était permis de transmettre des marques d'improbation, des farceurs pourraient, du coin de leur feu, troubler des représentations...
Sur la plaque, un changement à vue venait de se produire : le décor du laboratoire de Faust s'était envolé dans les frises pour laisser voir un paysage immense et fantastique rougi par les embrasements de volcans et peuplés de centaines de diables et de diablesses noires et roses.
- Charmanl !... Charmant !... soupira M. Ponto. Bravo ! ... Bravo !... (A suivre.)

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