Dans quelques jours, c'est l'ouverture de la grande Exposition universelle de 1878 à Paris, et comme c'est déjà une habitude prise depuis les premières, il y aura du retard, et même beaucoup de retard pour certains pavillons et exposants. Albert Robida, qui s'intéressent de près à ces événements s'en fait bien évidemment l'écho, en dessins et en textes, dans la Vie Parisienne du 4 mai 1878...
Le Petit Lever de l'EXPOSITION
Elle est en retard. Elle n'a pas terminé sa toilette, elle est encore en chemise. Mais un peuple de serviteurs s'empresse autour d'elle. Les charpentiers et les zingueurs lui servent de coiffeuses, les maçons la chaussent, les menuisiers, les fondeurs et les verriers sont ses couturières et vont bientôt lui passer sa robe. Elle a tenue à recevoir de bonne heure, de trop bonne heure, et ses invitées sont arrivées, surprises qu'elle ne soit pas prête, mais, après tout, assez émerveillées des splendeurs que promet déjà son négligé.
Elles s'impatientent : la pauvre turquie, quoique écloppée, est venue cahin-caha, le bras en écharpe, regrettant ses Mille et une Nuits, et s'appuyant sur la Russie passablement engraissée, même un peu bouffie. L'aimable Autriche-Hongrie, une pelisse de hussard sur le dos, une tyrolienne dans le gosier, est là avec sa tendre et gaie bonhomie. Elles y sont toutes, la petite Japon, avec sa robe à ramages, son gros pouf sur les reins, ses grandes épingles dans le chignon, son écran et sa théière; la Perse cérémonieuse, aux yeux peints, hanchant dans son pantalon, et pleine de désinvolture, comme un jeune danseur barde; l'Angleterre sirène casquée, cuirassée, un armstrong de cent tonnes sous le bras en guise d'ombrelle; la castagnettante Espagne, qui tape du tambourin et arbore la cuillère d'ivoire à son chapeau d'estudiantine; l'Italie, brune pifferaresse au chapeau pointu que nouent des rubans de macaroni.
Elles attendent, car, elles, c'est surtout au déballage qu'elles comptent avoir du succès.
D'un autre côté, ce petit lever de l'Exposition n'est pas sans avoir ses agréments et presque ses avantages. Actuellement, tous les genres de sport et tous les gymnases réunis ne sauraient rivaliser avec l'Exposition au salutaire point de vue des exercices du corps. Gravir et franchir le Mont-Blanc n'est rien auprès des escalades que demandent ces Alpes de colis. Gare ! est la devise de l'endroit. Qui sait si tant de pèlerins intrèpides, avides de sonder d'avance les merveilles qui sortiront des boîtes, ne regretteront pas plus tard ces instants agités, aventureux, qu'ils passent dans les échelles, les auges, les caisses, les planches, les barres, les cordes, les grues, les bannes, les échafaudages, sous une pluie de carreaux qui se cassent, de marteaux qui tombent, de lattes qui dégringolent, culbutés par les porteurs de n'importe quoi, rejetés sous les roues d'un wagon, renvoyés vers des engrenages qui grincent des dents, repoussés vers des foyers enflammés acculés contre des trappes, collés au mur par une vitrine qui passe, cognés par une poutre qui surgit du coin d'un couloir ! - Mais des merveilles on en aura et à pleines mains. Quand les boîtes vont être ouvertes, il en sortira tout à coup des tasses de Chine, des cloisonnés et des faïences du Japon, des soieries brochées, des dentelles, des peaux tannées, des lustres en cristal, des cartes de géographie, des coupes de Minton, des vases de Sèvres, du tabac en feuilles, des piles de cotonnades, des briques, de statues, des veilleuses en fer blanc, des toiles cirées, des singes automates jouant du violon, des pianos hydrauliques, des paires de lunettes, des bouteilles d'eau de Cologne, des tapisseries des Gobelins, des mèches et des verres de lampes, des toiles hydrofuges, des fleurs en papier et des portraits historiques.
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