(Le Populaire : journal-revue hebdomadaire de propagande socialiste et internationaliste / Parti socialiste SFIO / Directeur de publication : Léon Blum)
Merci à André Lange-Médard de nous avoir signalé ce document sur le site de Gallica.
Les textes dans ce numéro du 26 avril 1939 reproduisent ceux des pages 54 à 60 du XXème Siècle :
Du téléphone au téléphonoscope
Parmi les sublimes inventions, dont le XXe siècle s'honore,
parmi les mille et une merveilles d'un temps si fécond en magnifiques
découvertes, le têléphonoscope peut compter pour une des plus merveilleuses.
L'ancien télégraphe électrique, cette enfantine application
de l'électricité, a été détrôné par le téléphone el ensuite par le téléphonoscope,
qui est le perfectionnement suprême du téléphone.
Quand le téléphone fut universellement adopté, même pour les
correspondances à grande distance, chacun s'abonna, moyennant un prix minime.
Chaque maison eut son fil ramifié avec des bureaux de section, d'arrondissement
et de région. On installa même des bornes téléphoniques publiques dans les
rues. De la sorte, pour une faible somme, on pouvait correspondre à toute heure,
à n'importe quelle distance et sans dérangement, sans avoir à courir à un
bureau quelconque. Le bureau de section établit la communication et tout est
dit.
L’invention du téléphonoscope fut accueillie avec la plus
grande faveur. L'appareil, moyennant un supplément de prix, fut adapté aux téléphones
de toutes les personnes qui en firent la demande. L'art dramatique trouva dans
le téléphonoscope les éléments d'une immense prospérité. Les auditions
théâtrales téléphoniques, déjà en grande vogue, firent fureur, dès que les
auditeurs, non contenta d'entendre, purent aussi voir la pièce.
Les théâtres eurent a ainsi, outre leur nombre ordinaire de spectateurs
dans la salle, une certaine quantité de spectateurs à domicile, reliés au théâtre
par le fil du téléphonoscope. Nouvelle et importante source de revenus. Plus de
limite maintenant aux bénéfices, plus de maximum de recettes ! Quand une pièce
avait du succès, outre les trois ou quatre mille spectateurs de la salle,
cinquante mille abonnés, parfois, suivaient les acteurs à distance, non seulement
de Paris, mais de tous les pays du monde.
L’appareil consiste en une simple plaque de cristal,
encastrée dans une cloison d'appartement, ou posée comme une glace au-dessus
d'une cheminée quelconque. L'amateur de spectacle, sans se déranger, s'assied
devant cette plaque, choisit son théâtre, établit sa communication, et tout aussitôt
la représentation commence.
Avec le téléphonoscope, le mot le dit, on voit et l'on entend.
Le dialogue et la musique sont transmis comme par le téléphone ordinaire. En même
temps, la scène elle-même avec son éclairage, ses décors et ses acteurs,
apparaît sur la grande plaque de cristal avec la netteté de la vision directe.
On assiste donc réellement à la la représentation par les yeux et par l'oreille.
L'illusion -est complète, absolue. Il semble que l'on écoute la pièce au fond
d'une loge de premier rang.
Apres dîner, comme on ne sortait pas ce soir·là, M. Ponto s’étendit
dans un fauteuil devant son téléphonoscope et se demanda ce qu'Il allait se faire
jouer.
- Oh, papa ! surtout pas de tragédie, ou nous nous en allons
! s'écria Barbe en allant s'assoir à côté de lui.
- Un peu de musique, proposa Hélène.
- C'est cela, dit M. Ponto, j'aime la musique. Elle m'endort
mieux que la simple prose ou les vers.
- Que joue·t·on à Vienne ? demanda Barnabette.
- Voyons: grand Opéra de Vienne… Les Niebelungen de Wagner.
- Ah ! mon enfant, à Vienne, c'est commencé ! L'heure de
Vienne avance de quarante-cinq minutes sur celle de Paris. Il est donc huit
heures quarante-cinq, nous n'aurons pas le commencement.
- A Berlin, alors ?
- Non, c'est commencé aussi.
- Voyons, l'Opéra de New-York, en ce cas !
- Non, il est trop tôt. New-York retarde, Il nous faudrait
attendre quelques heures.
- Restons à Paris, alors, dit Hélène. Que donne-t-on à
l'Opéra?
- Faust, répondit Barbe.
- Va pour Faust ! dit M. Ponto, je ne l'ai encore entendu
que doute ou quinze cents fois… Une fois de plus ou de moins !...
- Ah ! dit Barbe consultant son programme, on a ajouté trois
grands ballets nouveaux et une apothéose.
- Très bien ! Très bien! dit M, Ponto. Attention, mes
enfants, je sonne.
Et M. Ponta appuya sur le timbre de l'appareil et prononça
ces mots dans le tube téléphonique :
- Mettez-moi en communication avec Opéra de Paris !
Un timbre lui répondit immédiatement.
- La communication est établie ! dit M. Ponto. Baissez les
lampes, nous n'avons pas besoin de lumière.
Une sorte d'éclair traversa la plaque de cristal, un point
lumineux se forma au centre, grandit avec des mouvements vibratoires et des
scintillements, puis brusquement la scène de l'Opéra tout entière apparut avec
la plus grande netteté.
En même temps éclata le tonnerre des cuivres de l'orchestre
: Ies trombones, les saxophones et les bugles, habilement perfectionnés et
portés à un très haut degré de puissance, rugirent une phrase musicale à faire
crouler un édifice moins solidement construit que la maison Ponto.
Hélène sentit comme un grand souffle, qui faisait voltiger
ses cheveux, les lampes s'éteignirent tout et les faïences sur les dressoirs frissonnèrent.
- Je vais modérer un peu, dit Ponto en tournant légèrement
la clef du compteur. L'orchestre noud assourdissait.
Le docteur Faust en scène venait d'évoquer le Maudit. Quand
il acheva son grand duo avec Méphistophélès, le téléphonoscope transmit comme
un écho lointain le bruit des applaudissements de la salle.
- On peut applaudir? dit Barnabette,
- Parbleu ! répondit M. Ponto. Les spectateurs à domicile
peuvent envoyer leurs applaudissements aussi. Tenez, j'ouvre la communication
avec la salle, vous pouvez applaudir !
- Alors, fit Barbe en riant, on pourrait aussi transmettre
des sifflets en cas de besoin !
- Ah ! mais non, fit M. Ponto, c'est défendu !
Vous comprenez que s'il était permis de transmettre des
marques d'improbation, des farceurs pourraient, du coin de leur feu, troubler
des représentations...
Sur la plaque, un changement à vue venait de se produire :
le décor du laboratoire de Faust s'était envolé dans les frises pour laisser
voir un paysage immense et fantastique rougi par les embrasements de volcans et
peuplés de centaines de diables et de diablesses noires et roses.
- Charmanl !... Charmant !... soupira M. Ponto. Bravo ! ... Bravo
!... (A suivre.)
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